samedi 2 mai 2015

Age of Ultron : Scarjo stérile, un drame pour l'espèce humaine

Avengers : Age of Ultron était si attendu qu'il a suscité des débats avant même sa sortie (et ça fera l'objet d'un prochain article), mais loin de s'interroger sur le rythme, le format ou même l'image, les conversations les plus houleuses concernant le film -maintenant que tout le monde l'a vu- tournent autour d'une séquence précise.

Et vous savez parfaitement de quelle séquence je parle parce que, vous aussi, elle vous a perturbé : la scène de la petite maison dans la prairie.
Sans trop vouloir me forcer à planter le décors (si vous n'avez pas vu le film, ça m'étonnerait que vous lisiez cet article...), je vous rappelle simplement le contexte : après tout un tas de bagarres et de la torture psychique bien sentie, l'équipe est discréditée et part se planquer dans la jolie ferme de Hawkeye. Ce dernier personnage sautant sur l'occasion pour gratter un peu de profondeur émotionnelle...


Colère ! Indignation ! Interrogation... On a même créé un tumblr hommage à cette fichue ferme ! Le moins qu'on puisse dire, c'est que le gros du public n'est pas content du tout !

Eh bien, comme souvent, le gros du public a tort. La séquence de la jolie ferme, c'est la meilleure séquence du film...

Enfin... La "meilleure"... A égalité avec tous les passages où la Vision apparaît pour crever l'écran, bien sûr.

Voici, passés en revue, les arguments de la plèbe contre la séquence de la jolie ferme, et les réponses que j'y apporte :

- "Les activités de ferme, c'est pas super-héroïque" : Superman est fermier.

Et il vous emmerde.

- "On ne regarde pas Avengers pour voir ça" : dans ce cas, peut-être devriez-vous vous tourner vers Fast & Furious 18... Pour rappel, en dehors de la séquence du dernier quart d'heure, le premier Avengers, c'était quasiment que des dialogues. Avengers, c'est Ocean's Eleven version super-héros puisque tout l'intérêt repose sur la façon dont ces personnages hétéroclites vont fonctionner ensemble ! A partir de là, il n'est pas étonnant que, comme dans Ocean's Eleven, ils passent les trois quarts du film à se dire bonjour de manière virile... Pas d'arnaque, donc...

- "Le rythme était lent" : non, il ne l'était pas, les dialogues étaient savamment découpés et les cinq petites scénettes s'enchaînaient sans peine. Nulle besoin d'explosion pour créer du dynamisme ! Cela devrait être évident, mais autant le répéter une fois de plus : on s'intéresse à une histoire parce qu'on s'inquiète pour ses personnages, pas parce qu'elle nous impressionne. Prendre le temps de respirer et de s'interroger sur leurs motivations et craintes est donc une étape nécessaire de la narration.

"- Qu'est-ce que je me suis fait chier devant la scène à la ferme, dans Avengers 2 !
- Pareil, Francis. Je déteste les pauses dans les trucs d'action... C'est pour ça que j'adore GOT !"

- "Ils font ça que pour que Hawkeye ait l'air intéressant" : effectivement, mais aussi pour que, en vertu des clichés de film de guerre qu'on connait tous, on s'attende à ce qu'il meurt au combat. Ou aussi, sans doute, pour donner l'épaisseur dont le personnage manquait dans le premier film (à cause de cette histoire de contrôle mental), histoire qu'on s'attache à lui... C'est amusant cette mode d'estimer que toutes techniques de narration correspond à de la fourberie. C'est comme ça qu'on raconte des histoires, les mecs... Faites pas les mijaurées !

- "La conversation entre Stark et Rogers est trop bête" : suivi de "bien sûr qu'il faut rester éthique dans la course à l'armement ! Si ces deux là savaient pas ça, ce sont des benêts !" Une fois encore, je ne suis pas d'accord avec ces commentaires... Le thème du film n'est pas la sécurité, ou la course à l'armement, ou bien même l'éthique scientifique... Non, le thème du film est l'héritage !

Et c'est là, je crois, la nature profonde de cette séquence : nous montrer le rapport de chaque personnage (et nous-même au travers car, oui, une bonne fois pour toutes, ce ne sont que des archétypes, porteurs des émotions et motivations qu'on veut bien leur prêter) à l'épineuse question de l'héritage, sous toute ses formes (si vous avez oublié comment cette phrase commençait, relisez la en sautant l'énorme parenthèse)...
1°) Pour Hawkeye, on parle d'héritage de la manière la plus "classique" : son héritage, ce sont ses deux enfants et celui à naître, son épouse et sa jolie ferme. On voit que c'est ce qui compte le plus pour lui, sans même qu'il n'ait à le hurler sur les toits. C'est pour ça qu'on a inventé cet aspect du personnage (absent de la version d'origine), et aussi parce que les super-héros n'ont jamais tout ça.
2°) Pour Thor, c'est l'héritage royal et les responsabilités politiques qu'il a refusés en quittant Asgard. Dans sa scène de flashback (malheureusement abusement tronquée au montage), sa crainte que sa décision entraîne la disparition de son peuple se manifeste clairement.  Il pose la question de la dimension parfois non désirée de l'héritage (on parle ici de celui qui lui incombe, et non pas de celui qu'il laissera derrière lui), des racines et des traditions...
3°) Pour Captain America, on parle tout simplement d'absence d'héritage. Il va de désillusion en désillusion (son pays n'est pas ce qu'il croyait, le SHIELD n'est pas ce qu'il croyait, les Avengers ne sont pas ce qu'il croyait...) et réalise que le symbole qu'il pensait incarner ne vaut plus grand chose. Cette dernière angoisse, d'ailleurs, ne bénéficiera d'aucune résolution à la fin du film. Le personnage finit simplement par abandonner aussi bien ses rêves de grandeur que personnels et se noie dans sa fonction terre à terre.
4°) Pour Iron-man, il s'agit plutôt d'héritage intellectuel. Ses inventions, ses choix, ce qu'il bâtit, et la façon dont cela influencera le monde de demain. Mais face à cette question, Tony Stark n'est pas une personne, c'est l'humanité : améliorer quelque chose ne compte plus, il faut tout améliorer. Ce questionnement ouvre à celui des conséquences de nos actes et du potentiel humain. Et la dimension personnelle de l'héritage de Stark ne sera évoquée qu'à l'occasion de quelques blagues (la "ferme à Pepper").
5°) Pour Hulk, on observe un croisement entre les problématiques de Captain America et celle d'Iron-man : Banner est trop rodé à la déception pour tenter de bâtir quoi que ce soit, mais considère tous ses actes à l'échelle de l'espèce humaine toute entière, tout en ajoutant la notion d'autodestruction personnelle (il est admis depuis le premier film qu'il a tenté le suicide au moins une fois). Il n'est alors pas anodin non plus que le personnage s'avoue incapable d'enfanter et, plus révélateur encore, que ça le conduise à estimer qu'il n'a donc "rien" à offrir. Certes immature, la façon dont l'angoisse de ne pas être à la hauteur et la culpabilité se mêlent apparaissent plutôt réalistes.
6°) Enfin, c'est la manière dont Black Widow s'exprime par rapport au thème qui a, le plus, soulevé la polémique. On en parle juste en dessous...

Quoiqu'il en soit, et comme pour illustrer toutes ces idées, tous les autres personnages gravitant autour de l'équipe sont eux-même des héritages : Ultron est "l'enfant" de Stark, Vision est celui d'Ultron, les Maximoff incarnent la nouvelle génération...


- "Black Widow compare la stérilité à de la monstruosité, c'est sexiste" : Et ça, qu'est-ce que ça a énervé tout le monde ! La raison ? Il s'agit du seul personnage féminin important au sein de l'équipe et que les nouveaux aspects de son histoire apportés par le film sont de loin les plus sombres : Black Widow a donc été cruellement stérilisée contre son gré par les sociopathes qui lui ont tout enseigné. Elle en souffre et croit que cela la rend "monstrueuse".
Petite précision : bien sûr qu'en aucun cas la stérilité ne peut être considérée comme de la monstruosité, ni même comme un défaut ! Dans la vraie vie, et avec des gens intelligents, tout le drame qui se joue entre Romanov et Banner aurait pu être réglé en un seul mot : "adoption" (seul aspect de l'héritage qui n'est jamais abordé dans le film). Mais si les personnages de fiction étaient en paix avec toutes leurs névroses et traumatismes, ce serait... Terriblement ennuyeux. Et que le film ne fournisse pas de réponses toutes faites à plusieurs de ces interrogations est plutôt une force.
Je perçois donc cette fameuse réplique non pas comme le propos du film, mais uniquement comme le ressenti d'un personnage ! Une culpabilité mal placée qui, malheureusement, est sans doute bien connue par de nombreuses personnes dans ce même cas de figure (enfin, à peu près, sans la partie services secrets russes)...
Et je trouve ça plutôt bien, et même assez incroyable, qu'un sujet aussi sinistre et déprimant ait fait son bonhomme de chemin jusqu'à la version finale du film, diffusée en salles.

Non, ce n'est pas un film sur les abus de Photoshop, mais bien sur l'héritage, la stérilité, le transhumanisme et le poids des traditions.

...MAIS...

Néanmoins, il est effectivement dommage que l'intrigue principale de l'héroïne du film tourne autour de son utérus. Il est aussi dommage que les Avengers ne compte qu'une femme dans leurs rangs (ça s'améliore dans la suite ! On en aura... deux...) et qu'on ne lui épargne aucun des poncifs que Whedon avait si bien su lui épargner dans le premier film : elle pleure, elle est plus concentrée sur son intrigue amoureuse que sur le robot génocidaire, son utérus la travaille... Elle parvient même à réaliser l'exploit d'être le seul personnage à se faire capturer. Et pour de bon, en plus ! Dans une cage à barreaux, et tout, jusqu'à ce qu'elle soit secourue par son homme !

Bref, il reste du chemin à faire bien que cette Black Widow est très loin d'être mal écrite. Sans déconner. Sérieux.

Liste des arguments en faveur de la scène de la jolie ferme impossibles à contredire :
- Linda Cardellini.