jeudi 25 juin 2015

Daredevil saison 1 : les super-vilains sont-ils enfin totalitaristes ?

On a rendu justice au personnage de Daredevil au travers d'une adaptation en websérie (osez donc me contredire sur ce choix de terme !) vachement sympa et vachement mal diffusée. Semi-surprise : la star du show, c'est Wilson Fisk, le méchant de l'histoire.

Sûrement le rôle le plus profond de la carrière de Philippe Etchebest...

Là où la caractérisation du personnage devient vraiment intéressante, c'est que malgré des actions affreuses, il n'est officiellement un "vilain" que vers la toute fin de la saison. Pourtant, avant cela, on le voit déjà tuer, frapper, menacer, mentir... Mais ça, le héros de l'histoire le fait aussi (c'est par un coup de bol surréaliste qu'aucun méchant ne meure sous ses coups).
Ce qui va vraiment rendre cette version de Wilson Fisk toxique et maléfique, c'est son idéologie répugnante, qui pourrait aisément être résumée comme du totalitarisme à tendance fasciste. Et ça, c'est intéressant ! Parce qu'on est en 2015, que les comics de super-héros existent depuis les années 30, qu'ils ont donc traversé la Seconde Guerre Mondiale et que, pourtant, les justiciers masqués commencent à peine maintenant à affronter les fascistes, nazis, racistes et totalitaristes de toutes sortes.

Wilson Fisk, c'est le totalitarisme dans sa version la moins nuancée : il méprise les pauvres et souhaite tous les brûler dans le but "d'améliorer" le voisinage, tout en se plaçant au centre de ce "projet d'assainissement", tel un sauveur.
Si ce genre de façon de penser puantes n'a rien de nouveau du point de vue historique, c'est assez inédit dans le petit monde de nos super-héros.
Explications...

"Et ça ?! C'est pas un nazi, peut-être ?"

Je vous entends d'ici hurler "Captain America, Superman, Namor etc. combattent les nazis depuis les années 40 !", et vous avez parfaitement raison : effectivement, les super-héros affrontent de temps en temps quelques vilains arborant des croix gammées et hurlant régulièrement "hail Hitler", et parfois même Hitler lui-même ! Ces méchants ont l'uniforme, l'accent allemand, les répliques clichés, la gestuelle... En revanche, les auteurs semblent s'être astreint à éviter au maximum d'aborder l'idéologie de manière frontale.
Concrètement, que sait-on de l'idéologie nazie dans l'univers Marvel, par exemple ? Quelques éléments/indices ont été chuchotés par ci, par là, mais jamais concrètement, jamais argumentés et, surtout (c'est là le plus grave), jamais contredits. Ce côté "dilué" se retrouve, par exemple, dans le film Captain America : The First Avenger, dans lequel le vilain Crâne Rouge n'est nazi que pendant le premier quart d'heure du film, avant de totalement se détourner de ses généraux. Au final, c'est à peine si le Captain affronte le moindre nazi pendant toute la seconde guerre mondiale...
Dans le même ordre d'idée, l'idéologie des membres de l'Hydra (sensés être la relève des nazis) est si mal définie qu'elle paraît changer d'un membre à l'autre (jetez un oeil à la série TV Marvel's Agents of SHIELD pour vous en convaincre). C'est bien beau (et bien normal) que les totalitaristes soient dépeints comme les méchants de l'histoire, mais ne faudrait-il pas rappeler pourquoi ?

"Exterminer les minorités sociales, c'est tellement plus fun que conquérir le monde !"

Afin de clarifier la suite de ma théorie, je précise que j'emploie le terme de "Fascisme" au sens large : toute idéologie allant dans le sens d'un système politique nationaliste et totalitariste opposé à la démocratie et aux droits individuels dans le but de gommer les luttes des classes, où le pouvoir est détenu par un ensemble unique et maintenu par la force, l'oppression et parfois la terreur. Le tout saupoudré de hiérarchisation des individus, de culte de la personnalité et de paranoïa liée à "l'ennemi commun/interne"... Bref, vous voyez le tableau.
J'ajoute aussi que je fais volontairement l'amalgame entre les comics de super-héros et leurs adaptations. Ce qui compte ici, c'est le mythe et l'image de société qu'il nous renvoie, peu importe le support.

Je suis donc parti de l'exemple de Wilson Fisk dans la websérie Daredevil, car il paraît symptomatique d'un nouveau phénomène (de mode) : la figure du super-vilain mégalomane se mute petit à petit en super-facho. Il était temps !

Quelques exemples pour appuyer mon propos :
- Dans le film Batman Begins, Ra's voulait larguer une neurotoxine dans les quartiers les plus "corrompus" de Gotham, dans l'espoir de "nettoyer" la cité de la même façon que Néron pour Rome. Dans cette version, la ligue des assassins s'attribue d'ailleurs le sort de Rome, de Babylone, de Constantinople... Ici, on retrouve l'idée de mettre fin à la lutte des classes en supprimant les plus pauvres de manière terroriste et/ou génocidaire, à laquelle s'ajoute des méthodes d'endoctrinement basé sur le culte de la personnalité de Ra's.
- Dans la première saison de la série TV Arrow, le vilain Malcolm Merlyn utilise une machine à tremblements de terre pour "mettre à niveau" le quartier des Glades. L'idée est ici exactement la même : massacrer les pauvres, les faibles et les minorités, qui sont accusés de tous les maux.
- Même dans le film Man of Steel, l'idéal rêvé par l'armée de Zod est l'extermination des "races inférieures". Ici, le message pourrait être brouillé par le fait que Zod est extra-terrestre, mais comme l'histoire est racontée du point de vue d'un membre de son peuple, l'aspect conservateur et réactionnaire demeure dominant.
- On retrouve aussi l'idée de "la peur de l'ennemi interne" dans Captain America : The Winter Soldier, où elle est sensée justifier une politique hyper-sécuritaire et liberticide. Problématique qui sera sans doute encore développée dans Captain America : Civil War.

Progressivement, on s'éloigne de la figure clichée du vilain sans vraie idéologie, assouvissant au mieux une vengeance personnelle, en faveur de quelque chose de tristement plus réaliste : le totalitariste. A une époque où des versions de plus en plus pernicieuses de ces "modes de pensée" semblent à nouveau faire son bonhomme de chemin dans la société et la politique, est-ce que les super-héros ne se donneraient pas enfin un rôle qui semblait taillé pour eux : celui de donneur d'alerte ?

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